dimanche 23 avril 2023

LA CASSEROLE : NOUVEL OBJET-SIGNE DU SPECTACLE POLITIQUE.


Dans la société du spectacle, le port de signes ou d'objets dits « spectaculaires » est encouragé et même vivement conseillé pour exister. À l’heure du diktat de la com’, c'est ainsi : il faut être visible, reconnaissable, identifiable. C'est-à-dire manifester ostensiblement son appartenance et sa soumission au spectacle.

Blouses blanches, gilets jaunes, chemises orange, bonnets ou foulards rouges  : le spectacle politique demande des symboles. L’engagement citoyen a donc besoin au plus vite d’un élément d’identification et de reconnaissance, visuelle ou sonore, pour satisfaire le médiatique qui réclame des signes distinctifs ; des insignes calibrés pour l’écran et ses images. Pour le conso-spectateur, les signes du spectacle – lesquels peuvent prendre la forme d’un dress code (le black-bloc), d’un accessoire (le parapluie ouvert) ou d’un objet (une casserole) pourvu qu’il soit voyant – constituent des repères, des raccourcis, des simplificateurs.

Sur les foules (sociales) médiatiques, les signes distinctifs de spectacle politique doivent agir comme des logotypes, lesquels doivent renvoyer à un message clair, un positionnement précis et à une tonalité d’expression singulière. À l’ère du diktat des « vues », c’est donc par la production ostentatoire de spectacles et l’impact visuel et/ou sonore que le citoyen contemporain fait de la politique, s’exprime et prend position. Si le signe extérieur de spectacle montre, pour celui qui le porte, la maîtrise du langage visuel et l’adhésion à une philosophie sensationnaliste, il permet par le phénomène de mode, l’effet de foule et le mimétisme, de rallier aussi plus facilement les masses à la cause défendue.

Qu’il s'agisse d'une casserole, d'un gilet jaune ou d'un bonnet rose avec des oreilles de chat porté à l’occasion d’une manifestation contre le sexisme, le mécanisme est toujours le même : pour l’apparent, il s’agit de s’agenouiller devant le culte du marketing et de l’image ; d’obéir aux injonctions de l’écran et du spectacle pour impressionner son public et émerger sur son marché. Cochant la case du « vu » ainsi que celle du « entendu », la casserole comme « ready made » de la fronde est intéressante. Synonyme à la fois de mécontentement, d’engagement et de rassemblement, la casserole, objet universel de la vie quotidienne, fait passer celui qui la porte de l’invisible au visible, propulse sur la scène de spectacle celui qui peut enfin être entendu.

Nouvel accessoire de la contestation spectaculaire, la casserole (et sa déclinaison événementielle « la casserolade générale ») correspond parfaitement aux canons de l’époque communicante dont la demande de contenus spectaculaires à voir, à partager et à commenter, est chaque jour de plus en plus forte.

François Belley

publicitaire, essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise)
https://francoisbelley.fr

vendredi 21 avril 2023

L’ INTERPELLATION PUBLIQUE DU POLITIQUE : ILLUSTRATION DU « NOUVEAU SPECTACLE POLITIQUE ».


Comme le consommateur lésé qui sollicite, brocarde et malmène en direct les marques commerciales, le citoyen repolitisé réclame à son tour sa part de bousculade en public, qu’il pense, provoque et produit lui-même face caméra. Lors d’une visite d’usine, d’un hôpital ou d’un salon, sur un marché, un plateau de télé ou sur les réseaux sociaux, le citoyen-spectacle, armé de son smartphone, n’hésite plus à prendre la parole, à interpeller directement le politique et à faire irruption dans l’arène médiatique.


Une étudiante en sociologie qui prend à partie une Première ministre ; un ouvrier qui exprime sa colère face à un candidat ; un jeune des quartiers qui défie un député  ; une infirmière qui, dans un couloir, invective un Président : l’échange sur le terrain entre le professionnel de la politique et le néo-politique constitue l’un des divertissements à voir les plus prisés sur la scène de spectacle du réel : le lieu de rencontre et de fusion des émotions, des pulsions et des frustrations.

Plus elle est virulente et inattendue, plus l’interpellation publique sous l’œil voyeur et fugace des smartphones, engendre de la médiatisation, crée de la polémique-spectacle et offre à celui qui en est à l’origine, la tribune et la place recherchées dans l’espace public. Dans la sphère médiatico-politique, le micro ne se donne plus. Comme la parole, il se prend, s’arrache puis se garde tant l’objet chromé, symbole du spectacle, fait briller de mille feux l’individu contemporain. Vue comme une contribution citoyenne au débat public, l’interpellation à bout portant du professionnel de la politique, à travers une discussion filmée, franche et directe, fait entrer aussitôt dans le champ du spectacle le citoyen connecté, tapi dans l’ombre jusque-là.

Dans cette logique de fixation, de médiatisation et d’« immédiatisation » du sujet, le message dilué dans une forme toujours sensationnaliste, n’a pas d’importance là encore. À l’écran, c’est le messager que l’on garde, fait parler et exploite ainsi que la séquence, de laquelle sera extraite la meilleure image à l’origine du débat du jour. L’interpellation du politique par le néo-citoyen comme voie rapide vers le nouveau spectacle politique, si elle traduit une colère légitime, témoigne aussi du besoin de vedettariat de l’époque qui sollicite la lumière avec le public et ses applaudissements.

La suite dans le livre ci-dessous :
« Le Nouveau Spectacle politique » (Editions Nicaise), Essai.
https://lnkd.in/eJRjsiyD

François Belley.

jeudi 20 avril 2023

LAURENT BERGER : FUTUR 3ÈME HOMME ?

 


« Le phénomène X ! », « La surprise Y ! », « La révélation Z » : à chaque séquence pré-présidentielle, c’est le même impératif : il faut voir éclore de la narration médiatique, un outsider d’où peut venir la surprise, un candidat chargé de perturber le jeu politique, « un troisième Homme » capable de bouleverser la donne, déjouer les pronostics et perturber - à défaut de l’empêcher - « le duel » annoncé.
Sur la liste des convives, « Le Troisième Homme » est l’un des premiers à recevoir, sous forme de sésame, un carton VIP ouvrant les portes des médias. J. Lecanuet, J. Chaban-Delmas, R. Barre, F. Bayrou, E. Zemmour, C. Taubira, « Le Troisième Homme », c’est le refus du duel annoncé, la carte de l’originalité : le choix de l’audace, du moins tel qu’il est présenté et vendu par la presse.
Invité faussement surprise des campagnes (pré) électorales, « Le Troisième Homme » vite porté par la vague des sondages, aidé aussi par les Unes spéculatrices, est en réalité une création médiatique qui vise, pour des raisons logiques d’audience, de surenchère et d’emballement journalistique, à rendre à travers l’hypothèse « crédible » d’un coup de théâtre à venir, l’impossible finalement « possible », l’improbable peut-être « probable » et l’irréalisable finalement tout à fait « réalisable ».
Avec Laurent Berger, les titres de presse sont écrits d'avance : « Laurent Berger : jusqu’où peut-il aller ? », « Laurent Berger : et si c'était lui ? », « Laurent Berger : pourquoi pas lui ? », « Laurent Berger : lui Président ? » : le rôle du « Troisième Homme », enfermé par les médias dans une politique-fiction à laquelle parfois même l’intéressé ne croit pas, ne doit son existence qu’au suspense qu’il permet de créer et maintenir jusqu’au terme de l’élection, période après laquelle " Le Troisième Homme" disparaît souvent du premier plan de la caméra. Comme au Cinéma, il convient d’accrocher le spectateur, au risque de le voir sinon jeter son cornet, se lever fissa et quitter la salle sans le moindre espoir de retour sur son siège.
Souvent utilisé par les diffuseurs du spectacle politique comme formule marketing d’aide à la vente, « Le Troisième Homme » comme pseudo candidat-rempart à la bipolarisation de l’élection, finit pourtant par stagner, s’effondrer lors de la cristallisation de la campagne et devenir le grand perdant de l’élection, lui restant alors que la maigre consolation de sa déclaration de l’entre-deux tours avec l’annonce toujours très attendue des consignes de votes, ultime passage dans la lumière.
Le 19 avril 2023, Laurent Berger a annoncé lors d'une interview au Monde qu'il quittera la tête de la CFDT le 21 juin prochain. Aussitôt sorti, il entrera donc officiellement, au moins pour les médias, dans le costume du "Troisième Homme" : élément-clé du spectacle.
François Belley
publicitaire, essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éd. Nicaise)

mardi 18 avril 2023

DE L' ART DU TEASING EN POLITIQUE.

Recette d'un thriller haletant, d'un film accrocheur ou d'une série réussie, le suspense est l'ingrédient indispensable du scénario pour tenir en haleine le lecteur, le spectateur comme le conso-électeur. Il en est de même dans la politique-spectacle, entretenir le flou, c’est (en quelque sorte) entretenir la flamme.

Habituellement, le teasing politique se fait sur les candidatures (« je n’exclus rien », « si les conditions sont réunies », « je me déciderai au moment venu » , ), ou sur les annonces à venir (« le moment venu », « au termes de échéances », « dans 100 jours »….).

Hier, lors de l’allocution présidentielle, 15 millions de personnes se sont demandés ce qu’il y avait derrière ces 2 cadres, stratégiquement posés sur une table sans surprise épurée, comme pour mieux attirer les regards.

Éléments du décor comme les drapeaux et l’arrière-plan verdoyant, les 2 cadres se sont retournés aujourd’hui, par le biais de la photographe officielle qui, après le temps 1 du teasing, a posté sur twitter le temps 2 de la « révélation » qui fait réagir la presse et activer le commentariat.

Alors que voit-on ?

- D’abord, le général de gaulle devenu le métre-étalon de la politique. Comme toujours, le Général de Gaulle est utilisé par le politique pour son symbole, son image et sa force d’évocations. Dans l’inconscient collectif, le Général de Gaulle incarne la République. Il est l’image de l’appel du 18 juin, de la Résistance et de l’homme providentiel : soit la posture recherchée par tout Homme politique. Se référer au Général de Gaulle, c’est donc l’assurance de ne pas cliver l’électorat. C’est s’acheter une histoire et des valeurs en temps de crise, une morale aussi («Vous imaginez le général de Gaulle… ?») à l’heure des affaires et des controverses. Avec de Gaulle, le politique se réapproprie le roman historique. Il s’associe dans les mots à un type de leader politique qui n’existe plus aujourd’hui.

- Ensuite, Brigitte Macron, la femme du Président, à travers 3 photos de leur mariage. Ici, Emmanuel Macron montre que le politique est d’abord un couple politique, uni et soudé dans le combat. Le coupe est ici utilisé pour renvoyer aux foules regardantes les messages de stabilité et de solidité. A l’heure où l’on parle d’un « homme seul », « isolé par le pouvoir », le couple est censé véhiculer la force, particper une nouvelle fois au récit de celui qui le met volontiers musique. L’homme et « la femme de » sont un élément-clé du spectacle.

Cette séquence de communication en 2 temps montre une nouvelle fois le diktat du monde de l’image où les signes l’emportent sur le sens.

François Belley.

lundi 17 avril 2023

LE PRÊT-À-PARLER POLITIQUE.


Le langage constitue le premier pouvoir que l’on exerce sur les foules, pas étonnant donc que dans ses fonctions de représentation publique, le politique use et abuse des « bienfaits » de la novlangue dont les mots et les expressions fusent et se diffusent chaque jour dans les médias.

« Défense de la démocratie » plutôt que « guerre » ; « départs progressifs au sein de l’entreprise » au lieu de « licenciements » ; « restructuration de l’hôpital » préférée à « démolition » : ainsi, les bonnes formules retenues et assemblées par les professionnels de la « communication » peuvent facilement par un processus orwellien déformer, changer et détourner le sens des réalités, au profit de ceux qui nous gouvernent.

Gangrène de la politique, la langue de bois qui plâtre les allocutions comme les matinales radio, les discours et les débats, est la conséquence directe du média-training qui gomme chez les coachés toute trace d’authenticité, de spontanéité et de vérité. C’est comme ça que le politique, sans être « ni de gauche ni de droite », promet de « redonner du « sens à l’action », de « remettre la valeur travail au centre des préoccupations » , de « libérer les énergies des entreprises » ou de « reconstruire et retrouver l'élan de notre Nation".

Reposant sur des propos vides de sens, la langue de bois qui s’appuie aussi sur l’art du consensus (syndrome «  en même temps »), l’amour des généralités et des lieux communs, vise à séduire, flatter et préserver le plus grand nombre  ; également aider l’orateur à se sortir, plus ou moins habilement d’un sujet embarrassant.

Objets d’illusions, les éléments de langage en politique servent de ciment au discours officiel de l’homme de la représentation publique, aguerri à l’exercice de la restitution. Aussi, sur l’écran du spectacle, les éléments de langage livrés sous forme de fiches, finissent par se retrouver, sans surprise, parqués dans les fils d’actu et les bandeaux déroulants des chaînes d’info. Dans le cadre d’une pandémie, d’un projet de loi ou d’une mobilisation sociale comme celle des retraites, les éléments de langage doivent créer de la cohérence, un sentiment de maîtrise et d’unité au sein d’un gouvernement afin de limiter les risques de confusions, de dérapages et de mauvaises interprétations lors d’une publication, d’une interview ou d’un micro tendu.

Or, le système spectaculaire est bien fait. Il sait qu’avec les nouvelles technologies de communication, les éléments de langage décodés, décortiqués et dénoncés tout aussi vite par une nouvelle foule moins crédule, seront, une fois mis sur la place publique, à l’origine de la collision entre le monde de la politique traditionnelle et celui du numérique, titulaire désormais d’une créance de vérité.

François Belley
publicitaire et essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).
https://francoisbelley.fr


dimanche 16 avril 2023

L’ALLOCUTION CONTINUE COMME MODE DE GOUVERNANCE.


En politique, le prononcé fait foi : il acte et officialise.
Effectuée depuis l’Élysée ou un ministère, devant un collège ou un hôpital militaire, l’allocution, classique de la communication de masse, retransmise en direct sur les chaînes d’info et de spectacle, solennise le propos de celui qui s’adresse à une heure de grande écoute aux « concitoyens » ou aux « compatriotes », à « la Nation » ou à « la République ».

L’allocution d’un Président ou d’un Premier ministre, d’un préfet de Police ou d’un directeur général de la Santé est orchestrée pour l’effet de com’ qu’elle produit dans l’opinion, aussi pour la séquence médiatique qu’elle construit autour du personnage mis en scène dans un decorum compatible avec l’écran du spectacle (pupitre, drapeau, surimp, slogan et hashtag du jour).

Substitut à l’action politique, la parole officielle que l’on met en scène par son effet d’annonce et le désir qu’elle crée de facto, agit sur l’opinion tel un placebo. À tel point qu’avoir « des paroles fortes » et « des mots forts », « des messages forts » et « des promesses fortes » suffisent aux professionnels de la politique pour maintenant persuader, rassurer et convaincre : autrement dit, pour gagner l’approbation et la confiance des foules. « Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action », écrivait déjà Hannah Arendt.

À l’heure de l’hypercommunication et de l’ultrapersonnalisation du pouvoir, l’allocution en continu qui cannibalise l’événement n’a plus rien d’exceptionnel, et ce malgré les efforts répétés par le responsable politique à nous la présenter comme telle. Le temps de la rareté de la parole chère à Jacques Pilhan, théoricien du silence, est révolu. L’heure est maintenant à l’allocution continue comme mode de gouvernance. 

Au centre de toutes les attentions désormais, l’homme politique, premier sur l’événement, a pris la place de premier commentateur de l’actualité. Coresponsable du bruit permanent, celui-ci est comme le consultant, l’animateur ou « l’expert » du spectacle : à l’écran, il apparaît et parle. Il aspire à ne jamais disparaître.

Dans l’ère du spectacle, la politique n’est plus qu’apparition, mise en scène et bruit en continu. Cette activité débordante donne bien sûr aux « concitoyens » ou aux « compatriotes », l’illusion de l’action. À « la Nation » ou à « la République », cette masse de paroles tend à donner l’illusion de la décision.


François Belley
publicitaire et essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).
https://francoisbelley.fr

vendredi 14 avril 2023

LA PRIORITÉ AU (SPECTACLE EN) DIRECT.


L’info-spectacle est un métronome à balancier avec d’un côté les réseaux sociaux et de l’autre les chaînes d’info, tous deux chargés de régler le tempo de l’actu, de maintenir le ton sensationnaliste et d’imposer le rythme de l’immédiateté.

Sur le marché de l’actu, les chaînes d’info se distinguent par un fonctionnement en continu et une info brute sans hiérarchie, mise en boîte comme une série et relayée en boucle de manière obsessionnelle. C’est toutefois avec « le direct » comme priorité qu’elles se distinguent plus particulièrement et avec «  l’édition spéciale  » comme mode de traitement, qu’elles accrochent le public et construisent leurs succès d’audience.

Le direct est aux chaînes d’info ce que le live est aux réseaux sociaux : la promesse d’un suspense filmique, d’images exclusives et de commentaires à chaud : soit autant de sensations fortes garanties à un spectateur, accro aux émotions de la mise en spectacle du réel. Parce qu’il faut toujours avoir quelque chose à dire et à montrer à l’écran, les chaînes en continu peuvent avec le système de l’édition spéciale se permettre à tout moment d’interrompre leur programme pour basculer tout à coup dans un autre monde : celui de la démesure et de l’hystérie de l’information.

Sur les chaînes en continu, le spectacle repose sur le dispositif avant tout : sur la composition du plateau, les équipes envoyées sur place et les témoignages du terrain. Autrement dit, sur les moyens audiovisuels spectaculaires mis en œuvre pour couvrir l’événement. Pour les chaînes d’info, tout est donc actu, même la non-actu qui, avec un simple duplex de circonstance, l’image forte et la bonne déclaration, devient à l’écran un événement.

Nourrie directement par des citoyens-reporters encouragés en leur qualité de « grand témoin » du réel à envoyer à la chaîne leurs contenus autoproduits, l’info non-stop et en direct est devenue avec les nouveaux moyens de communication un spectacle participatif. Lequel, dans son modèle éditorial, préfère l’instantanéité au recul, privilégie l’émotion à la réflexion et mise sur la recherche du scoop plutôt que sur la vérification des sources.

Sur les nouvelles chaînes de spectacle en continu, c’est la forme du clash, de l’interview ou de l’annonce qui compte. Le fond des sujets n’est qu’un prétexte à la fabrique du divertissement.

François Belley,
publicitaire et essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).

jeudi 13 avril 2023

Le come-back des « anciens » ou le retour de la marque-refuge.


Dans l’univers commercial, la « marque » a un pouvoir  indéniable : celui d’être un gage de sécurité. Signe d’authentification, la « marque » représente pour le consommateur un crédit, une caution : autrement dit l’assurance d’une confiance. Dans les linéaires, la marque constitue donc un repère.

Pour être une « marque », il convient – au-delà d’acquérir une notoriété préalable - de développer un signe reconnaissable mais aussi et surtout de se créer un territoire de légitimité, un positionnement original, une identité différenciatrice. Il en va de même en politique où B. Kouchner (humanitaire), J. Lang (culture), J. Bové (alter-mondialisme), S. Royal (féminité), Obama (coolitude) jusqu’à S. Rousseau (éco-clash féministe) ont su s’inscrire, avec leur style, dans une logique de marque totale et décomplexée.

Actuellement, le come-back des « anciens » est à ce titre révélateur.

Dominique Strauss-Kahn qui donne via Twitter son avis sur la réforme des retraites (11/04/ 2023) ; Manuel Valls qui invite à « trouver les voies de l'apaisement » à l’appui d’un parcours médiatique à nouveau balisé (12/04/2023), Jean-Pierre Raffarin qui « prône «l'apaisement» et « l’alliance entre Renaissance et LR » (13/04/2023), sans compter François Hollande qui continue d’envoyer des « cartes postales » médiatiques signent le retour de la « marque-refuge », celle qui est censée « rassurer » le consommateur dans une période sombre et instable.

Aussi, la question posée aujourd’hui au citoyen est simple.
Dans une ère multicrise (covid, guerre, climat, inflation, retraites...), le politique professionnel, fort de son expérience, peut-il revenir au premier plan malgré une image pour le moins ternie ? Peut-il dépasser les scandales, les affaires et les échecs conférant à son nom ? Peut-il repousser la force d’évocations liées à son histoire et sa réputation ? Autrement dit, peut-on faire de nouveau confiance à la « marque » ? Perrier (et ses traces de benzène dans ses bouteilles, 1991), Total (et le naufrage de l’Erika, 1999), Buffalo Grill (et ses deux victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, 2002), Findus (et sa viande de cheval retrouvée dans ses lasagnes, 2013), ou encore Balenciaga (et sa campagne de pub controversée, 2023) qui, dans leurs parcours respectifs ont connu des crises majeures, viennent le démontrer. Ainsi est le consommateur : versatile, parfois amnésique, suite au choc du marketing et de la communication tout azimut.

Cette séquence politique qui remet au premier plan les marques « DSK » (économie), « Valls » (sécurité) ou encore « Raffarin »(gouvernant raisonnable), vient nous rappeler, une nouvelle fois, que l’offre politique peine à se renouveler et qu’en politique, on ne meurt (vraiment) jamais.

François Belley
publicitaire et essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).

lundi 3 avril 2023

PLAIDOYER CONTRE LA COM EN POLITIQUE

Une de Playboy, concours d’anecdotes avec des youtubeurs, coming out dans la presse, omniprésence dans les talk-shows, marelle dans une cour d’école, happening sous forme de flashmob, participation à une émission de télé-réalité, interview confession sur un canapé : la politique d’aujourd’hui, quelle que soit la couleur politique, s’inscrit dans une époque aux rôles inversés où, à l’écran, le people fait de la politique et le politique, obsédé par le papier glacé, le trend topic et le bandeau déroulant, assure le spectacle !

Politiques, conseillers, communicants, consultants, visiteurs du soir : il est l’heure de faire votre aggiornamento en privilégiant la communication qui s’appuie sur du fond, à la com vide de sens qui repose sur du vent et de la forme uniquement. Car dépassée et contre-productive, la com-spectacle qui ne surprend ni n’amuse plus personne (pas même les médias !), continue chaque jour de discréditer un peu plus le politique, de nuire à la discipline et de maintenir à distance le citoyen, las des vieilles ficelles du marketing.

À l’ère de la multicrise et de la défiance persistante à l’égard des élus, avec un taux d’abstention record et une parole politique, au mieux inaudible, au pire incompréhensible, il est temps, pour l’Homme politique, de quitter le monde de l’apparence et sortir de la logique de l’apparition continue pour revenir au plus vite dans le réel.

Aussi, devant cette accumulation de bruits, d’images et de coups d’éclat, il est urgent pour l’Homme politique de :

- retrouver les vertus du silence. Autrement dit, parler quand on a quelque chose à dire ou à expliquer. L’Homme politique retrouvera ainsi le sens de la communication.

- donner sa parole plutôt que de la prendre. Autrement dit, poser sa signature en dessous d’objectifs et d’échéances. L’Homme politique retrouvera ainsi le sens de l’engagement.

- être sur le terrain. Autrement dit, reconquérir la vie en vrai. L’Homme politique retrouvera ainsi le sens de l’action.

Pour l’intérêt général, il convient de mettre fin au spectacle, fuir le diktat de la com et refuser la mise en scène. Se taire et faire, enfin : voilà le grand défi d’aujourd’hui.
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François BELLEY, publicitaire et essayiste.
Auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).




samedi 1 avril 2023

DE PIF À PLAYBOY : LE DIKTAT DE LA COM’ POUR LA COM’ !

 


À l’ère de l’ultra com', du diktat des « conseillers » et de leur « idée de génie », rien n’est étonnant et tout est possible. Ainsi, un Président peut accorder une interview à Pif (gadget) ; une ministre poser en Une de Playboy, comme S. Royal, jadis, dans Le Parisien Magazine, se muait en « Liberté guidant le peuple » en toge blanche, pieds nus et drapeau à la main.


À l’ère de l’ultra com', tous les supports se valent. Fini les arbitrages entre la presse régionale, nationale et magazine en fonction des objectifs, des messages et du ciblage. Aujourd’hui, il n’y a plus de hiérarchie ni de différence de cibles entre les supports. Diktat du buzz oblige, il n’y a que des opportunités, des rebonds possibles, des événements-marketing à créer pour le buzz et des relais souhaités, en masse. Ainsi, à l’heure du « brand-content », Pif (Gadget) vaut Le Point, Playboy vaut L’Express, Chasse, Pêche et Nature vaut Marianne. Ce qui compte dorénavant, c’est moins la cible que la reprise médiatique (forcément) tout azimut. Le support (papier, numérique, audiovisuel…) n’est qu’un prétexte, rien d’autre.

À l’ère de l’ultra com', tous les intervieweurs se valent aussi. Un journaliste, un youtubeur, un influenceur, un vidéaste-animateur, un écolier : qu’importe l’interlocuteur, c’est le « sparring-partner », choisi pour son originalité et casté pour le spectacle, qui compte, rien d’autre.
Aussi, compte tenu de la crise actuelle, l’interview d’E. Macron dans Pif puis celle de M. Schiappa dans Playboy qui, à l’ère du spectacle politique décomplexé ne surprendront personne, tombent plutôt mal en termes de timing. Elles confirment néanmoins toutes les deux que dans le champ politique, il n’y a désormais plus de distinction entre « le frivole et le sérieux ». Le frivole, c’est du sérieux. Et inversement.

Illustration du diktat du coup de com’ permanent, ces interviews, sous forme d’happening dans Pif et Playboy, confirment la dimension (trop) spectaculaire de la politique : une logique de « com’ de marque », à l’heure de la défiance des élus, qui continue chaque jour un peu plus de discréditer le politique et de nuire à la politique, de façon plus générale.
Les conseillers politiques et autres communicants devraient être payés pour pouvoir dire « non ». Encore faudrait-il en avoir le courage.


Par François Belley, essayiste,
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Editions Nicaise)
https://lnkd.in/ghgFYEh8