jeudi 19 octobre 2023

LE RETOUR DU « SYNDROME DUPONT DE LIGONNÈS »


ou l'inéluctabilité de l'emballement médiatique.


Un journal devrait se lire toujours 3 fois : le jour même, 100 jours après puis enfin 1 000 jours après ! C’est en effet selon moi la seule et unique technique au long cours pour se faire un avis solide, objectif et sérieux sur un sujet. Faites l’exercice : avec la recette « SOS », vous gagnerez à tous les coups face à l’info tous azimuts.


Au regard de l’actualité du moment et de la production de contenus de masse, j’ai donc sorti de mes archives de ma collection de journaux l’exemplaire collector de « la vrai-fausse arrestation » de Xavier Dupont de Ligonnès : cas d’école du fiasco journalistique et exemple-type de l’emballement médiatique. Pour rappel, dans cette histoire datée du vendredi 11 octobre 2019, tout y était : le fait divers, le scoop, l’info exclusive puis officielle (donc a priori fiable et authentique), le commentariat immédiat, la course à l’audimat puis enfin ladite Une du lendemain avec ce titre vendeur « ARRÊTÉ », écrit en capital, en gros, en gras et dénué de toute ponctuation.


À l’époque, au regard de l’affaire et son mystère, son retentissement dans l’opinion et surtout son potentiel commercial élevé, la sphère journalistique n’avait pu (hélas) se contenir, autrement dit se priver d’un tel sujet-poule aux œufs d’or avec son gros paquet cadeaux de clics et de vues, tombés du ciel. Diktat de l’époque avec son devoir d’expressions, de réactions et d’émotions, les rédactions, sans surprise, avaient aussitôt twitté et titré, commenté, analysé et tiré des conclusions, oubliant au passage le b.a.-ba du métier qui est, rappelons-le, d’enquêter, de vérifier les sources et de recouper. Mais le peut-on seulement à l’ère de l’autre diktat, celui de l’immédiateté ?


Coup magistral d’un point de vue commercial assurément, la « vraie fausse arrestation » de Xavier Dupont de Ligonnès a été selon moi surtout un marqueur de notre époque numérique et de sa matrice où le « sujet » comme contenu n’est plus qu’un moyen, disons-le plus directement, une marchandise au service du « publier-visionner-partager » : triptyque gagnant du divertissement contemporain.


Alors Cher lecteur, prenons de la hauteur et posons-nous la question du rapport à la vérité dans un monde où tout est devenu marchandise et où tout contenu – non hiérarchisé par principe – se vaut. Dans cette époque qui balance en permanence entre le faux-vrai et le vrai-faux, ce qui compte, au fond, ce n’est plus la vérité (souvent orientée pour des raisons idéologiques via le fameux biais de confirmation) mais dorénavant ce qu’on jette aux nouvelles foules numériques « regardantes » , « partageantes » et « commentantes », c’est-à-dire « consommantes ».


Désormais, ce sont les fake news (fausses informations), les deep fake (fausses vidéos) ou encore les fake audio (faux enregistrements) qui se chargent d’alimenter à elles-seules le débat public par la production et la diffusion éclair du contenu sur les réseaux sociaux, à destination du public qu'il soit journaliste, intellectuel, militant, faiseur d’opinions ou simple "abonné". Si bien qu’aujourd’hui, l’actu est régie principalement par deux types d’information : l’information qui circule et la validation ou non de celle-ci a posteriori.


Conséquence directe du diktat du post et son injonction de produire sans cesse du contenu partout tout le temps, c’est la fake news comme « première vérité » lancée aux masses qui génère de la réaction en cascade au sein de la twittosphère (la X-sphère), s’imbrique dans les bandeaux déroulants des chaînes d’info et pousse le politique à se positionner au plus vite. Autrement dit, c’est la fake news, labellisée ainsi à tout-va, qui fait l’actu et qui, compte tenu de son caractère souvent spectaculaire, détient sur le marché de l’info la valeur marchande la plus importante. À l’ère de la fake news que l’on étiquette partout, on ne prétend pas dire le vrai, on veut juste dire quelque chose : quelque chose de fort, si possible.


La « vraie fausse arrestation » de Xavier Dupont de Ligonnès comme l’actualité du moment où la guerre est aussi une guerre d’info-communication multiple entre pays, personnages publics, partis politiques, rédactions, comptes Twitter, Tiktok, Snap et autres Youtube, invitent à la prudence et au temps long ? Mais le peut-on seulement à l’ère du diktat de l’info-conso et de la société du spectacle ?


Conclusion : les journaux que vous lirez aujourd’hui devront être relus aussi dans 100 jours puis dans 1 000 jours. On n'a pas trouvé mieux en effet que la technique « SOS » pour se faire un avis solide, objectif et sérieux sur un sujet.


François Belley,

Publicitaire-essayiste,

auteur de « L’homme politique face aux diktats de la com »

(Institut Diderot, 2023).