Les
émissions de divertissement sont désormais l’espace d’expression
privilégié de l’homme politique d’aujourd’hui, construit
essentiellement sur l’apparition, l’image et l’émotion. Avec
la séquence politique spectaculaire qui s’est ouverte, voilà donc
le retour sur les écrans d’Une ambition intime, après une saison
1 surprenante qui avait vu passer sur le canapé de Karine Le
Marchand - à l’humour revendiqué « en dessous de la ceinture »
- les candidats A. Juppé, N. Sarkozy, F. Fillon ou encore F. Bayrou,
venus à l’époque dans un objectif d’exposition et de
popularité, de sympathie de proximité : des
candidats-spectacle qui connurent tous ensuite l’échec dans les
urnes.
Pour
cette saison 2, même concept de divertissement : le politique
filmé dans son intimité est invité à se mettre à nu devant les
Français, et ce à travers des questions extrapolitiques qui
concernent la vie privée et le couple, le mari, la colocatrice et
les enfants, les chats, les courses ou le jardinage. À ceci près
que pour cette saison 2, la nouveauté marketing réside sur le
parti-pris d’un casting politique « 100 %
féminin » (avec A. Hidalgo, V. Pécresse, M. Le Pen, R. Dati,
M. Schiappa), en écho sans surprise à l’air du temps. La
télévision est ainsi faite qu’elle suit toujours la direction du
vent et de la manche à air. Ainsi, le téléspectateur
découvrira-t-il dans cette émission la passion de V. Pécresse pour
le fromage et celle de M. Le Pen pour le jardinage. Ce qui aidera
sans doute le citoyen à se faire une opinion et à l’aider dans le
choix de son futur candidat.
Une
Ambition intime est le niveau 0 de la politique. Cette émission
atteint en revanche le niveau maximal de la politique-spectacle.
Qu’importe si l’animatrice (présentatrice de L’Amour est dans
le pré) n’est pas une spécialiste des questions politiques ni
même une journaliste : le « monsieur Loyal » de la
politique est là, avant tout, pour présenter le programme et
divertir le public, accroc au people et à la faille, la confidence
et la punchline de l’homme ou de la femme de pouvoir. Dans cet
exercice de pipolisation pure, il n’y a pas de contradiction ni de
sérieux, pas d’idées ni de débat possible. C’est pourquoi les
questions sont légères. Le ton est complaisant, l’ambiance
sympathique et l’air agréable. Avec Une Ambition intime, c’est
le règne absolu du non-sérieux, la victoire du ludique, le sacre de
l’anecdote et du secondaire. Dès lors, si
les sujets « politiques » sont abordés, ils le sont
d’abord du coin des lèvres, traités de toute façon par le prisme
du divertissement, du second degré et de la blagounette, de l’image
et de la dérision.
À
la recherche d'un retour rapide sur investissement, le politique
d’aujourd’hui – en s'offrant si facilement au jeu de la mise en
scène, du roman-photo, de la confidence, de la story ou de
l’interview-confession livrée à la commande – répond une fois
de plus au diktat de la séduction, modèle dominant de nos sociétés
du paraître. Désormais, dans toutes les sphères politiques,
économiques, sportives, artistiques, culturelles ou médiatiques,
il faut plaire : charmer à tout prix le chaland pour espérer
le convaincre. Pour conquérir le pouvoir, il faut, à l’écran,
devenir irrésistible à l’aide d’artifices esthétiques,
vestimentaires ou narratifs. Alors le politique se montre et raconte,
apparaît, se dévêtit et pose, travaille son regard et soigne son
look, répète son sourire et sur-joue la proximité, autrement dit,
excelle dans le travestissement et le pathos : un jeu de rôle
et une extimité qui relèguent de fait le candidat, l’élu ou la
ministre au rang de marchandise, de produit de consommation formaté
pour les ventes et l’audimat.
À
première vue, l’émission de divertissement (à travers le
people-politic, l’infotainement ou le talk-show...) est un format
gagnant-gagnant pour les chaînes de spectacle comme pour l’invité
politique. Le candidat a en effet l’assurance de toucher un public
ayant fui la sphère politique ; de ne pas lasser le
téléspectateur avec un discours trop technique ; de ne pas
être non plus déstabilisé par l’intervieweur, faute de sujet de
fond et de maîtrise. Quant à la chaîne et l’animatrice du
programme, en
mariant deux univers (politique et divertissement) qu’a priori tout
oppose sur le papier, elles s’assurent de toute évidence d’un gros
coup de pub et, par le contenu créé à voir et à revoir, peuvent
se targuer d’avoir ainsi fait parler de l’émission, avant et
surtout après sa diffusion. Soit le graal de tous les producteurs de
spectacles.
Dans
cette relation bipartite exclusivement , il y a toutefois un grand
perdant que l’on continue de malmener et de dévaloriser en public,
d’humilier et de piétiner à l’écran, de discréditer et de
dévaluer à une heure de grande écoute. Et ce grand perdant :
c’est la fonction et la discipline politiques. Objet
de contemplation pour les masses qui ne distinguent plus le privée
du public, la
mise en scène de l’intimité viserait à normaliser le politique
(devenu prisonnier de la forme), mettre à distance la fonction et se
rapprocher de l’électorat. Selon le dossier de presse de
l’émission, Une Ambition intime ambitionnerait même de « faire
avancer les choses ». Dont acte.
En
réalité, c’est tout l’inverse. Au service du système
spectaculaire, ces émissions qui "divertissent" le dimanche soir,
émeuvent et dupent les foules regardantes, nuisent à la politique et décrédibilisent définitivement son personnel.
François Belley
http://francoisbelley.fr