samedi 20 novembre 2021

Le zoom sur la « poignée de mains ».

La poignée de mains illustre l'état du climat, le rapport de forces voire le bras de fer entre politiques.

Vigoureuse, historique, manquée ou carrément absente : la poignée de mains entre politiques fait toujours l’objet de gros plans de la part des médias, de décryptages d’experts en langage corporel et de commentaires sur les réseaux sociaux.

Symbole de paix et de diplomatie, de tensions et de puissance, de moment de vérité aussi, la poignée de mains politique se trouve toujours sur-interprétée par de la sphère journalistique obsédé par la politique en gros plan et la forme des rencontres.

Le serrement de mains est la première image de la diplomatie-spectacle qui s’illustre par une photo historique, un dîner au sommet, une visite dans un château, un déjeuner en tête-à-tête médiatique.

Dans le spectacle politique, la poignée de main constitue donc une image forte, un moment de télévision,  un rendez-vous médiatique vu, revue et commenté le temps de la séquence.

François Belley

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vendredi 19 novembre 2021

L’effet déformant des chaînes d’info.


La télévision comme canal historique de diffusion de la politique-spectacle a un pouvoir inégalitaire : elle rend en apparence plus « intelligent » et plus « grand », plus « puissant », plus « beau » et plus « influent » ceux qui y passent plutôt que ceux qui la regardent. La télévision est ainsi. Elle déforme la réalité, la maquille souvent aussi parfois, même grossièrement.

Ce n’est un secret pour personne. Depuis toujours, la télévision fait « le » et « la » politique. C’est elle qui construit encore les personnages, raconte les histoires, installe les thèmes, les personnalités et les candidats qu’elle finit par imposer comme une tendance voire une évidence, par un effet de répétition et de grossissement.

La télévision aujourd’hui, à travers notamment l’omniprésence des chaînes en continu, est avant tout une fabrique d’images et d’opinion, de notoriété et de popularité. Ainsi, qu’il s’agisse d’un politique (Macron, Zemmour…) ou d’un thème de campagne (immigration, écologie, made in France...), un « bon » produit doit passer à la télévision, passer et repasser non-stop sur les chaînes d’information jusqu’à ce que le dit produit, marketé par des professionnels, finisse par rentrer dans la tête du conso-citoyen. Pour le consommateur habitué aux marques du petit écran, le « vu et revu à la télé » institutionnalise et rassure. En apparence, il constitue encore un gage de sécurité, de crédibilité et de légitimité. La séquence extensible de la pandémie, à travers notamment l’intervention en boucle de nombreux apprentis-médecins, continue de le démontrer chaque jour.

À la manière du "fait divers" et de "la polémique", du "débat" ou de "l’affaire", tout personnage politique se construit de manière cathodique avec des images fortes, des émotions vives, des plans rythmés, des séquences travaillées et surtout une fréquence d’apparition dans l'écran, qui n'a rien de petit. 

Tenue, sourire, gestuels, mimiques, regard, mains, style vestimentaire, apparence, élocution, voix, débit: à la télévision, le message passe d’abord par l’image. Alors le politique qui suit docilement les normes médiatiques imposées par l'écran s’entraîne à regarder droit une caméra, à contenir son stress, à formuler un message, à faire court, clair et concret pour apparaître au mieux. Chez le politique-cathodique, la moindre anomalie est corrigée, les traits de personnalités gommés ou amplifiés parfois pour entrer dans le format télégénique et faire du politique un « bon client » comme les autres.

La télévision, à travers notamment les chaînes d’info et leur talk-show, ont formaté le politique, l’ont moulé médiatiquement : autrement dit, l’ont préparé pour le spectacle de l’écran. Pour qu'à la veille de la campagne présidentielle, le "produit politique" soit tout à fait mûr, c'est-à-dire prêt à être consommé. 

François Belley

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Le bon filon du made in France.


Thème classique des campagnes présidentielles, depuis les années 70. 

« Produisons Français », « Acheter Français », « Produire Français », « Protectionnisme industriel », « Patriotisme industriel », « Patriotisme économique » : le made in France est d’abord une affaire de sémantique qui doit correspondre au positionnement politique du candidat qui l’emploie. 

La thématique du made in France vient répondre à une double crise : la première industrielle marquée par les délocalisations et les fermetures d’usines ; la seconde identitaire, marquée par la remise en cause de la mondialisation et de l’Europe. 

Pour le politique, s’approprier la paternité du concept du Made in France permet de surfer sur la mode du local, d’afficher son patriotisme et de se réfugier, comme dans l’univers commercial, derrière un label « France », gage de qualité, de savoir-faire et d’authenticité. 

 La défense du « fabriqué en France » est une tendance : un AOP politique. Elle imprime dans l’opinion : le made in France est stratégique. Il se prête aux effets d’annonce, à la fabrique de l’image, aux mises en scènes, en enfilant ici et là un béret ou une marinière.

François Belley

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vendredi 12 novembre 2021

Le spectacle de la larmichette.

L’émotion est un registre de com’ apprécié et recherché des acteurs politiques.

Chez l’homme ou la femme politique, l’émotion crée de l’authenticité, humanise, normalise aussi à l’heure de la défiance et de la distance du politique. L’émotion que l’on recherche, créée et scénarise dans l’espace public, s’adresse à la sensibilité des foules, touche le cœur des masses, réveille les passions de l’électorat. Parce qu’elle s’inscrit s’inscrit dans une logique de séduction, elle fait office de pensée, de message et de programme.

Sur la scène du théâtre politique, les larmes lorsqu’elles coulent sont donc devenues une arme de communication. Celles d’E. Macron lors du 11 novembre ou de B. Obama lors de son dernier discours (janv 2007), celles de S. Royal lors de sa défaite cinglante aux primaires (oct 2011) ou de J. Trudeau dans les locaux du parlement (oct 2007), celles d’A. Corbière sur un plateau de télévision (fév 2018), de N. Hulot lors de l’annonce de sa démission (Sept 2018) ou d’A. Juppé lors de ses adieux à sa ville de Bordeaux (fév 2019) : les larmes - naturelles ou non - font sortir l’homme politique de sa fonction, percent la bulle de l’intimité.

Comme au cinéma, au tâtre ou dans le sport, l’émotion est attendue par le spectateur. Pour les médias, les séquences en sanglots, qui plus est en direct, valent de l’or. Pour le politique, elles créent de la publicité. Pour son caractère humain, elles font naître de la compassion, de la sympathie et de la proximité chez l’électorat. Dans nos sociétés d’image avant tout, mieux vaut être porté sur l’émotion que sur la raison. L’adhésion, l’approbation, le soutien, exprimés par « le commentaire », « l’abonnement à », « le like », « le retweet » ou « le vote », sont souvent le fruit d’une émotion savamment construite.

François Belley

http://francoisbelley.fr

Voir l'interview donnée à Atlantico sur l'émotion en politique. 

https://atlantico.fr/article/decryptage/ames-sensibles-s-abstenir--pourquoi-il-faut-etre-une-machine-de-guerre-pour-faire-de-la-politique-meme-si-on-pleure-comme-cecile-duflot-ou-segolene-royal-francois-belley-rene-zayan

 

 

mardi 9 novembre 2021

De Gaulle : mètre-étalon de la politique.

Pour les médias comme pour les politiques, le temps commémoratif est aussi le temps de la célébration spectaculaire, celui du « vu » et du « à voir ». Bicentenaire de la Révolution française, centenaire de l’armistice, hommage à Jeanne d’Arc, appel du 18 juin, cinquantenaire de la mort du général de Gaulle : le rebond sur le calendrier permet au politique de s’approprier l’actualité et se sculpter une stature, faire passer des messages et récupérer à son compte l’Histoire avec ses symboles et ses forces d’évocations.

Le médiatico-politique aime jouer avec les dates, les lieux et la mémoire des grands Hommes comme il sait aussi jongler avec les chants et les discours, les chorégraphies et les minutes de silence : c’est le principe du marketing du souvenir, de la célébration et de l’hommage.

À l’instar des grands événements sportifs, il n’y a rien de mieux que « l’hommage » à vivre à travers l’écran du spectacle pour offrir à la population le moment de communion, les belles images et la dose d’émotions qu’elle attend. « Panthéonisation », « hommage national », « remise de médailles » ou de « badges de l’engagement », « applaudissements à 20h sur les balcons » : hier pour les héros de la Nation, les militaires, les policiers ou les sportifs, aujourd’hui pour ceux du quotidien, les soignants, les profs, les activistes et même les animaux, la distinction populaire comme prestige social, même à titre post-hume, n’échappe pas au diktat du visible spectaculaire.

À l’heure de la défiance presque totale à l’égard du politique, la commémoration (en lieu et place du meeting) s’impose au sein de la vie politique comme le dernier grand spectacle des émotions. Récompenser un geste héroïque, un engagement militant ou simplement l’incarnation d’une noble cause : pour le système spectaculaire, les honneurs doivent être avant tout médiatisés et suivre le processus de vente classique de la marchandise du « à voir ».

Cité de façon abusive dans les discours de droite comme de gauche, le Général de Gaulle est utilisé par le médiatico-politique essentiellement pour son image et sa force d’évocations. Dans l’inconscient collectif, le Général de Gaulle incarne la République. Il est l’image de l’appel du 18 juin, de la Résistance et de l’homme providentiel : soit la posture recherchée par tout Homme politique. Se référer au Général de Gaulle, c’est l’assurance de ne pas cliver l’électorat. C’est s’acheter une histoire et des valeurs, une morale aussi («Vous imaginez le général de Gaulle… ?»). Avec de Gaulle, le politique se réapproprie le roman historique. Il s’associe dans les mots à un type de leader politique qui n’existe plus aujourd’hui. Le Général de Gaulle est le mètre étalon de la politique.   

François Belley

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dimanche 7 novembre 2021

Le niveau 0 de la politique.


Les émissions de divertissement sont désormais l’espace d’expression privilégié de l’homme politique d’aujourd’hui, construit essentiellement sur l’apparition, l’image et l’émotion. Avec la séquence politique spectaculaire qui s’est ouverte, voilà donc le retour sur les écrans d’Une ambition intime, après une saison 1 surprenante qui avait vu passer sur le canapé de Karine Le Marchand - à l’humour revendiqué « en dessous de la ceinture » - les candidats A. Juppé, N. Sarkozy, F. Fillon ou encore F. Bayrou, venus à l’époque dans un objectif d’exposition et de popularité, de sympathie de proximité : des candidats-spectacle qui connurent tous ensuite l’échec dans les urnes.

Pour cette saison 2, même concept de divertissement : le politique filmé dans son intimité est invité à se mettre à nu devant les Français, et ce à travers des questions extrapolitiques qui concernent la vie privée et le couple, le mari, la colocatrice et les enfants, les chats, les courses ou le jardinage. À ceci près que pour cette saison 2, la nouveauté marketing réside sur le parti-pris d’un casting politique « 100 %  féminin » (avec A. Hidalgo, V. Pécresse, M. Le Pen, R. Dati, M. Schiappa), en écho sans surprise à l’air du temps. La télévision est ainsi faite qu’elle suit toujours la direction du vent et de la manche à air. Ainsi, le téléspectateur découvrira-t-il dans cette émission la passion de V. Pécresse pour le fromage et celle de M. Le Pen pour le jardinage. Ce qui aidera sans doute le citoyen à se faire une opinion et à l’aider dans le choix de son futur candidat.

Une Ambition intime est le niveau 0 de la politique. Cette émission atteint en revanche le niveau maximal de la politique-spectacle. Qu’importe si l’animatrice (présentatrice de L’Amour est dans le pré) n’est pas une spécialiste des questions politiques ni même une journaliste : le « monsieur Loyal » de la politique est là, avant tout, pour présenter le programme et divertir le public, accroc au people et à la faille, la confidence et la punchline de l’homme ou de la femme de pouvoir. Dans cet exercice de pipolisation pure, il n’y a pas de contradiction ni de sérieux, pas d’idées ni de débat possible. C’est pourquoi les questions sont légères. Le ton est complaisant, l’ambiance sympathique et l’air agréable. Avec Une Ambition intime, c’est le règne absolu du non-sérieux, la victoire du ludique, le sacre de l’anecdote et du secondaire. Dès lors, si les sujets « politiques » sont abordés, ils le sont d’abord du coin des lèvres, traités de toute façon par le prisme du divertissement, du second degré et de la blagounette, de l’image et de la dérision.

À la recherche d'un retour rapide sur investissement, le politique d’aujourd’hui – en s'offrant si facilement au jeu de la mise en scène, du roman-photo, de la confidence, de la story ou de l’interview-confession livrée à la commande – répond une fois de plus au diktat de la séduction, modèle dominant de nos sociétés du paraître. Désormais, dans toutes les sphères politiques, économiques, sportives, artistiques, culturelles ou médiatiques, il faut plaire : charmer à tout prix le chaland pour espérer le convaincre. Pour conquérir le pouvoir, il faut, à l’écran, devenir irrésistible à l’aide d’artifices esthétiques, vestimentaires ou narratifs. Alors le politique se montre et raconte, apparaît, se dévêtit et pose, travaille son regard et soigne son look, répète son sourire et sur-joue la proximité, autrement dit, excelle dans le travestissement et le pathos : un jeu de rôle et une extimité qui relèguent de fait le candidat, l’élu ou la ministre au rang de marchandise, de produit de consommation formaté pour les ventes et l’audimat.

À première vue, l’émission de divertissement (à travers le people-politic, l’infotainement ou le talk-show...) est un format gagnant-gagnant pour les chaînes de spectacle comme pour l’invité politique. Le candidat a en effet l’assurance de toucher un public ayant fui la sphère politique ; de ne pas lasser le téléspectateur avec un discours trop technique ; de ne pas être non plus déstabilisé par l’intervieweur, faute de sujet de fond et de maîtrise. Quant à la chaîne et l’animatrice du programme, en mariant deux univers (politique et divertissement) qu’a priori tout oppose sur le papier, elles s’assurent de toute évidence d’un gros coup de pub et, par le contenu créé à voir et à revoir, peuvent se targuer d’avoir ainsi fait parler de l’émission, avant et surtout après sa diffusion. Soit le graal de tous les producteurs de spectacles.

Dans cette relation bipartite exclusivement , il y a toutefois un grand perdant que l’on continue de malmener et de dévaloriser en public, d’humilier et de piétiner à l’écran, de discréditer et de dévaluer à une heure de grande écoute. Et ce grand perdant : c’est la fonction et la discipline politiques. Objet de contemplation pour les masses qui ne distinguent plus le privée du public, la mise en scène de l’intimité viserait à normaliser le politique (devenu prisonnier de la forme), mettre à distance la fonction et se rapprocher de l’électorat. Selon le dossier de presse de l’émission, Une Ambition intime ambitionnerait même de « faire avancer les choses ». Dont acte.

En réalité, c’est tout l’inverse. Au service du système spectaculaire, ces émissions qui "divertissent" le dimanche soir, émeuvent et dupent les foules regardantes, nuisent à la politique et décrédibilisent définitivement son personnel.

François Belley

http://francoisbelley.fr