mercredi 30 juin 2021

Le spectacle politique de l’avant-présidentielle.


La séquence de l’élection présidentielle est la « pièce » électorale la plus spectaculaire, celle réservée traditionnellement aux acteurs-stars de la scène politique.

Pour autant, afin de maintenir l’intérêt pour un événement à vivre seulement tous les 5 ans, la séquence de l’avant-élection élargit toujours la liste des invités-participants à qui, il est demandé en retour, de s’agiter et de faire un maximum de bruit sur la ligne de départ.

Comme au Cinéma, on retrouve donc pour chaque élection, les premiers et les seconds rôles, les petits rôles et les figurants : chaque « candidat » se voyant bénéficier d’une couverture presse, attribuer des points dans les baromètres de popularité et flanquer d’une étiquette, collée sur la tête par l’hyper-personnalisation du débat public.

L’intérêt du spectacle « à voir » n’est pas tant la parenthèse, finalement courte, de l’élection présidentielle elle-même. Ce qui est intéressant pour le système spectaculaire, c’est ce qui se passe médiatiquement avant : c’est-à-dire la première partie du spectacle, celle qui doit chauffer le public, le préparer et le mettre dans les meilleures conditions psychologiques pour vivre intensément la dite représentation.

Les primaires comme "produit" relativement récent dans l’histoire de la vie politique mettent en place les personnages, nourrissent les divisions internes et installent les duels voire les guerres fratricides à venir. Toujours bien scénarisée, la saison des primaires comme préliminaire vient combler l’espace, le vide et doit servir de relais brûlant à l’élection qui suit.

En termes d’intérêt, d’intensité et de retombées presse, les primaires (qui reprennent les codes classiques d'une élection qui fonctionne) sont parfois aussi réussies que l’élection majeure. Les primaires doivent mettre en appétit l’électeur. C’est l’élection avant l’élection : la première séquence-surprise qui doit faire recette sur le marché.

La course au parrainage comme second amuse-bouche présentée au spectateur-électeur est l’autre grand moment de cinéma interprété par les candidats et mis en scène en coproduction avec les médias. De la recherche des signatures d’élus jusqu’à la mise en péril possible de la candidature, au coup de gueule sur les plateaux de télé en passant par le compte-à-rebours avant la date limite, les relances téléphoniques en direct ou encore les dépôts des 500 signatures à la dernière seconde jusqu'à la validation de candidature in extremis : le feuilleton de la toujours très instrumentalisée course aux parrainages permet au candidat, « victime du système » politique de ne jamais quitter l’écran de la représentation. Aux médias, le (faux) suspens, créé et rythmé chaque jour par des rebondissements, offrent l'opportunité de raconter une histoire dans l'histoire.

Néanmoins, la finalité reste jusque-là toujours la même : les grands candidats atteignent la ligne de départ. Quant aux petits, ils s'y arrêtent avant mais repartent, dans la poche, avec le capital médiatique qu’ils sont venus chercher. François Belley.

François Belley

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vendredi 25 juin 2021

Le marketing du souvenir et de l’hommage.

Pour les médias comme pour les politiques, le temps commémoratif est aussi le temps de la célébration spectaculaire, celui du « vu » et du « à voir ». Bicentenaire de la Révolution française, centenaire de l’armistice, hommage à Jeanne d’Arc, appel du 18 juin, cinquantenaire de la mort du général de Gaulle : le rebond sur le calendrier permet au politique de s’approprier l’actualité et se sculpter une stature, faire passer des messages et récupérer à son compte l’Histoire avec ses symboles et ses forces d’évocations.

Le médiatico-politique aime jouer avec les dates, les lieux et la mémoire des grands Hommes comme il sait aussi jongler avec les chants et les discours, les chorégraphies et les minutes de silence : c’est le principe du marketing du souvenir et de l’hommage.

À l’instar des grands événements sportifs, il n’y a rien de mieux que « l’hommage » à vivre à travers l’écran du spectacle pour offrir à la population le moment de communion, les belles images et la dose d’émotions qu’elle attend. « Panthéonisation », « hommage national », « remise de médailles » ou de « badges de l’engagement », « applaudissements à 20h sur les balcons » : hier pour les héros de la Nation, les militaires, les policiers ou les sportifs, aujourd’hui pour ceux du quotidien, les soignants, les profs, les activistes et même les animaux, la distinction populaire comme prestige social, même à titre post-hume, n’échappe pas au diktat du visible spectaculaire.

À l’heure de la défiance presque totale à l’égard du politique, la commémoration (en lieu et place du meeting) s’impose au sein de la vie politique comme le dernier grand spectacle des émotions. Récompenser un geste héroïque, un engagement militant ou simplement l’incarnation d’une noble cause : pour le système spectaculaire, les honneurs doivent être avant tout médiatisés et suivre le processus de vente classique de la marchandise du « à voir ».

Cité de façon abusive dans les discours de droite comme de gauche, le Général de Gaulle est utilisé par le médiatico-politique essentiellement pour son image et sa force d’évocations. Dans l’inconscient collectif, le Général de Gaulle incarne la République. Il est l’image de l’appel du 18 juin, de la Résistance et de l’homme providentiel : soit la posture recherchée par tout Homme politique. Se référer au Général de Gaulle, c’est l’assurance de ne pas cliver l’électorat. C’est s’acheter une histoire et des valeurs, une morale aussi («Vous imaginez le général de Gaulle… ?»). Avec de Gaulle, le politique se réapproprie le roman historique. Il s’associe dans les mots à un type de leader politique qui n’existe plus aujourd’hui. Le Général de Gaulle est le mètre étalon de la politique.

François Belley

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jeudi 24 juin 2021

L' art du suspense permanent.


Recette d'un thriller haletant, d'un film accrocheur ou d'une série réussie, le suspense est l'ingrédient indispensable du scénario pour tenir en haleine le lecteur, le spectateur comme le conso-électeur. Au sein de la politique-spectacle, entretenir le flou, c’est entretenir la flamme. Celui qui sait laisser planer le doute sur ses intentions, jouer avec la rumeur, se dire « intéressé » tout en écartant, habilement de l’ordre du jour la question posée sur ses ambitions personnelles gagne aussitôt l’attention des médias et du public. « Se présentera-t-il ? », « Se déclarera-t-il ? », « Se lancera-t-il ? » : le vrai-faux suspense médiatique propre à tout bon récit est un moyen facile de faire monter les enchères, laisser les débats se faire et les publications envahir les réseaux sociaux comme les moteurs de recherche.

« Je ne sais pas », « si l’opportunité se présente», « je me prépare au cas où », « si les conditions sont réunies », « je n’exclus rien », « je me déciderai au moment venu » : à la veille d’une élection majeure, le médiatico-politique se montre prévisible dans l’exercice télévisuelle de l’incertitude. Pour garder du temps d’antenne, condition sine qua none à l’existence médiatique, l'aspirant présidentiable esquive la réponse, sème le trouble et, si le journaliste reformule et insiste trop, largue tel un pilote de bombardier les éléments de langage du spectacle.

Pour des raisons tactiques, le médiatico-politique, aussi stratège qu’un professionnel de la politique, attend et entretient le suspense. Adepte du teasing, il fait confiance pour une fois au temps long pour acquérir de la valeur auprès des masses. Pour gagner la bataille de l’image et remporter le débat de personnes, celui qui est vu et présenté comme un « candidat probable » sait spéculer sur sa petite personne. À l’appui d’un schéma rhétorique rôdé, "le politique" se dit d’abord « dans une phase d’écoute », puis « prêt au débat » avant de se lancer officiellement... ou non. Cette dramaturgie est un jeu de dupes. Si elle sert à la fois le médiatico-politique et le journaliste en quête de la déclaration attendue, de l’annonce exclusive et du scoop à vendre, les intentions et les destins des coureurs sont souvent bien connus en coulisses. François Belley. Politique spectacle.

François Belley

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People-politique, politique-people et politique spectacle.


La politique d’aujourd’hui s’inscrit dans une époque aux rôles inversés où, à l’écran, le show-business fait de la politique et le politique assure le spectacle.

À l’heure du coup de com permanent, le people est devenu aujourd’hui le politique : celui qui s’engage publiquement, se lève et se bat pour une cause. Désormais, cest « le people-politique » qui a besoin du politique traditionnel comme béquille, caution et relais pour ses discours et autres prises de position. Dorénavant, quand « le people-politique » (Justin Bieber) se déplace, c’est le politique (Emmanuel Macron) qui demande le selfie en cascades. À l’instar d’une reine de la pop, d’une ex-mannequin playmate ou d’un chanteur de rock irlandais, « le people-politique » fait l’actu et occupe le terrain.

Soumis au spectacle permanent, le politique traditionnel est à l’inverse devenu un people décomplexé : celui qui, en sa qualité de star des magazines, truste la rubrique « scoop », quand ce n’est pas celle plus trash des « faits divers ». Désormais, cest « le politique-people » qui participe à l’écran au divertissement de masse.

Qu’il soit « président de la République » ou « chroniqueur-intermittent », cest « le politique-people » que suivent en priorité les photographes, les producteurs comme les animateurs. En promotion continue de lui-même, cest en effet bien « le politique-people » qui court les émissions de talk-show et s’accroche aux plateaux pour commenter l’indignation et l’engagement du people-politique. C’est encore et toujours le politique-people qui se ré-approprie un peu plus chaque jour l’univers, les codes et le langage des stars. Et après, on s’étonne du désintérêt bientôt total pour la discipline politique. 

François Belley 

http://francoisbelley.fr