mardi 1 août 2023

LA FABRIQUE INDUSTRIELLE DE "L'ACTU".

Dans la sphère du journalisme, l’actualité diffère sensiblement de « l’actu ». À l’heure du tout-média, les deux notions sont même devenues presque antagonistes.

Jusqu’au raz-de-marée des chaînes d’info et celui plus dévastateur encore des réseaux sociaux, l’actualité induisait une hiérarchie dans les événements. Pour le journaliste en effet, « l’actualité » supposait un arbitrage dans les thèmes. Elle exigeait une priorisation : une sélection dans le traitement de l’information du jour. Pour les rédactions, elle impliquait des choix pour les grands titres et donc des renoncements. En réponse au droit de savoir des populations, l’actualité ne visait pas à satisfaire le téléspectorat, contenter les lecteurs et ravir les auditeurs mais à rapporter des faits et rendre compte objectivement de ce qui se passait dans la société, se jouait à l’international ou se déroulait en politique. « Notre métier n’est pas de faire plaisir », répétait Albert Londres, « non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Ainsi, l’actualité répondait hier à une seule promesse : celle d’informer le citoyen du rythme cardiaque du monde.

L’actu comme pâte spectaculaire offerte au consommateur-spectateur, répond quant à elle à un objectif d’audimat et une demande du public ; une nécessité aussi de combler avec du contenu attractif les multigrilles d’expression médiatique. Au service d’abord de l’audience, l’actu vit sous le diktat permanent du nombre : celui des clics, des vues et des replays générés par le triptyque éditorial dominant du « quotidien » (avec le fait divers et le micro-trottoir), « des gens » (avec la vie des personnages publics comme ici avec J. Biden) et « du temps » (avec le bulletin météo). Celle qui domine désormais le monde numérique avec son fil, l’actu répond au besoin de l’info non-stop, de l’émotion et du divertissement. Par principe, il n’y a donc pas de sélection préalable. Puisque tout est actu, tout est à publier et à diffuser, à relayer et à voir.

Alors que l’actualité s’impose naturellement par des faits importants, l’actu, elle, peut se créer artificiellement, s’amplifier par la synergie des différents canaux de diffusion et s’alimenter par la logique du partage en ligne. Ainsi, l’insignifiant et le banal, l’accessoire et le futile, l’inintéressant et l’anecdotique suffisent qu’ils apparaissent à l’écran, pour prétendre tout à coup faire l’actu, la une et les gros titres. Par l’effet de la médiatisation, « l’infra-ordinaire » cher à Georges Perec vaut aujourd’hui l’extra-ordinaire. Par son caractère éphémère et sa formule raccourcie, le trend topic par les sujets qu’il sait mettre en lumière, atteste tout à fait de la profondeur mince, de la consistance creuse et du poids plume de ce qui nous est présenté en gros et en gras comme l’actu du jour.

François Belley

La suite à lire dans ce livre :
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