dimanche 16 avril 2023

L’ALLOCUTION CONTINUE COMME MODE DE GOUVERNANCE.


En politique, le prononcé fait foi : il acte et officialise.
Effectuée depuis l’Élysée ou un ministère, devant un collège ou un hôpital militaire, l’allocution, classique de la communication de masse, retransmise en direct sur les chaînes d’info et de spectacle, solennise le propos de celui qui s’adresse à une heure de grande écoute aux « concitoyens » ou aux « compatriotes », à « la Nation » ou à « la République ».

L’allocution d’un Président ou d’un Premier ministre, d’un préfet de Police ou d’un directeur général de la Santé est orchestrée pour l’effet de com’ qu’elle produit dans l’opinion, aussi pour la séquence médiatique qu’elle construit autour du personnage mis en scène dans un decorum compatible avec l’écran du spectacle (pupitre, drapeau, surimp, slogan et hashtag du jour).

Substitut à l’action politique, la parole officielle que l’on met en scène par son effet d’annonce et le désir qu’elle crée de facto, agit sur l’opinion tel un placebo. À tel point qu’avoir « des paroles fortes » et « des mots forts », « des messages forts » et « des promesses fortes » suffisent aux professionnels de la politique pour maintenant persuader, rassurer et convaincre : autrement dit, pour gagner l’approbation et la confiance des foules. « Les mots justes trouvés au bon moment sont de l’action », écrivait déjà Hannah Arendt.

À l’heure de l’hypercommunication et de l’ultrapersonnalisation du pouvoir, l’allocution en continu qui cannibalise l’événement n’a plus rien d’exceptionnel, et ce malgré les efforts répétés par le responsable politique à nous la présenter comme telle. Le temps de la rareté de la parole chère à Jacques Pilhan, théoricien du silence, est révolu. L’heure est maintenant à l’allocution continue comme mode de gouvernance. 

Au centre de toutes les attentions désormais, l’homme politique, premier sur l’événement, a pris la place de premier commentateur de l’actualité. Coresponsable du bruit permanent, celui-ci est comme le consultant, l’animateur ou « l’expert » du spectacle : à l’écran, il apparaît et parle. Il aspire à ne jamais disparaître.

Dans l’ère du spectacle, la politique n’est plus qu’apparition, mise en scène et bruit en continu. Cette activité débordante donne bien sûr aux « concitoyens » ou aux « compatriotes », l’illusion de l’action. À « la Nation » ou à « la République », cette masse de paroles tend à donner l’illusion de la décision.


François Belley
publicitaire et essayiste
auteur de l'essai " Le Nouveau Spectacle politique " (Éditions Nicaise, 2022).
https://francoisbelley.fr