À l’heure du diktat de l’apparition-écran et du marketing continu, l’émotion est un registre de com’ apprécié et recherché des acteurs politiques.
Chez la femme ou l’homme politique dont l’image est écornée, l’émotion crée de l’authenticité, humanise, normalise aussi à l’heure de la défiance et de la distance du politique. L’émotion que l’on recherche, créée et scénarise dans l’espace public, s’adresse à la sensibilité des foules, touche le cœur des masses, réveille les passions de l’électorat. Parce qu’elle s’inscrit s’inscrit dans une logique de compassion, de séduction donc d’adhésion, elle fait office de pensée, de message et de programme, à l’heure du vide.
Sur la scène du théâtre politique, les larmes de croco lorsqu’elles coulent à flot sont donc devenues une arme de communication. Celles d’A. Bergé hier à l’Assemblée, d’E. Macron lors du 11 novembre 2021 ou de B. Obama lors de son dernier discours (janv 2007), celles de S. Royal lors de sa défaite cinglante aux primaires (octobre 2011) ou de J. Trudeau dans les locaux du parlement (oct 2007), celles d’A. Corbière sur un plateau de télévision (fév 2018), de N. Hulot lors de l’annonce de sa démission (Sept 2018) ou d’A. Juppé lors de ses adieux à sa ville de Bordeaux (fév 2019) : les larmes - naturelles ou non - font sortir l’homme politique de sa fonction, percent la bulle de l’intimité.
Comme au cinéma, au théâtre ou dans le sport, l’émotion est attendue par le spectateur. Pour les médias, les séquences en sanglots, qui plus est en direct, valent de l’or. Pour le politique, elles créent de la publicité. Pour son caractère humain, elles font naître de la compassion, de la sympathie et de la proximité chez l’électorat. Dans nos sociétés d’image avant tout, mieux vaut être porté sur l’émotion que sur la raison. L’adhésion, l’approbation, le soutien, exprimés par « le commentaire », « l’abonnement à », « le like », « le retweet » ou « le vote », sont souvent le fruit d’une émotion savamment construite.
François Belley
La
suite ici :
«
Le Nouveau Spectacle politique » (Editions Nicaise),
Essai.
https://lnkd.in/eJRjsiyD
À l’écran, chaque thématique traitée se doit d’avoir sur le plateau une personne référente, chargée par son titre d’« expert » mentionné en gros, d’apporter en direct du crédit et du muscle à la discussion.
Pilier des chaînes d’info, « l’expert » appelé pour meubler à chaud, revient sur l’événement, sous-titre les images et décrit les faits ; constate les chiffres et commente « les propos de ». Par sa présence, « l’expert » est celui qui illustre le sujet et, par sa voix, celui qui légende l’actu du jour, lui donne du relief, l’oriente aussi par ses interventions vues et revues avec l’effet de boucle et de répétition.
Qu’il soit ex-taulard ou repenti du show-bizz, médecin en réa, flic, politique, agrégé de philosophie ou psychologue, « l’expert », adepte de la gonflette des mots et de la paraphrase, est appelé en urgence pour décrypter. En réalité, comme l’intellectuel médiatique, il se retrouve à l’antenne pour assurer le service après-vente d’un « événement-vache à lait ».
Dans le choix de l’intervenant, il ne s’agit en effet pas de compétences ni de savoir, de connaissance du terrain ni même de pratique mais avant tout d’une capacité à bien incarner et à représenter un sujet d’actualité à un moment-clé du calendrier.
Acteur du nouveau spectacle politique, « l’expert » à l’avis sur tout est d’abord un spécialiste de la parole et de la formule, du verbe haut et du commentaire. Ainsi se dépêche-t-il par les mots, de compenser les images parfois limitées d’un événement en cours.
Comme le montre un monde tenu par le temps ultra-court, « l’expert » ne doit sa présence qu’à l’actu chaude. C’est elle, avec sa baguette magique, qui décide seule de sa téléportation immédiate sur la scène et de son incrustation dans le décor du spectacle. C’est l’actu encore qui lui donne du temps de parole et par la récurrence construit le personnage. C’est l’actu toujours qui lui permet en écho à la position tranchée du néo-sachant, de répondre sereinement à une question à laquelle parfois personne, même les autorités les plus compétentes, n’est bien capable de répondre.
Par le pouvoir (social) médiatique qu’offre l’apparition à la télévision, l’« expert » s’affirme progressivement dans l’espace public, se starifie à longueur d’émissions et finit par s’éditorialiser. Avec la notoriété aidant, il peut même parfois se politiser profitant de la crise du politique eu égard à la défiance portée à son égard.
À la manière du sparring-partner interchangeable, « l’expert » qui critique, prédit et interprète n’est pourtant qu’un pion au service du système spectaculaire. Qu’importe le fond de ses propos tenus, la teneur de ses analyses et la qualité de ses prévisions : de lui ne sont attendus que la forme, le style et la propension au one-man-show. Au commencement était le Verbe et le Verbe est spectacle.
La
suite dans le livre ci-dessous :
« Le Nouveau Spectacle
politique » (Editions Nicaise),
Essai.
https://lnkd.in/eJRjsiyD
François
Belley
Qu’elle concerne les syndicats ou les gilets jaunes, les féministes, les étudiants ou les infirmières, une manifestation, même confidentielle sur le terrain, devient toujours dans l’écran du spectacle un événement d’envergure qu’il faut couvrir, voire sur-couvrir pour le besoin de l'audimat.
IMPOSER LE DÉBAT. Check !
Tel un politique professionnel, Brigitte Macron démontre qu'elle maîtrise, elle aussi, les codes de l'époque-punchline pour faire parler d'elle et occuper la scène médiatique. Jadis utilisée par Ségolène Royal (« ordre juste », « jury citoyen », « camp de redressement ») plus récemment par Sandrine Rousseau (« barbecue », « affaire Bayou »), la technique marketing est connue : elle consiste, tel un youtubeur à succès, à lancer une formule choc et polémique par intervention. Aussi, que ce soit sur le modèle à la française (« dans quel pays c’est mieux ? ») ou l'uniforme à l'école (« une tenue simple et pas tristoune »), toutes les récentes sorties de Brigitte Macron visent à faire l'actualité, lancer le débat puis laisser les autres commenter, sur les plateaux, les réseaux sociaux ou dans la salle des 4 colonnes.
CRÉER LA SÉQUENCE. Check !
Chez celle qu'on appelle communément « Brigitte » (comme jadis « Ségolène » ou aujourd'hui « Marine »), la semaine passée est particulièrement intéressante à analyser en termes d’apparition publique. Car, sur le plan de la construction-média pensée en temps forts, elle ressemble à s'y méprendre à une semaine-type de campagne où le candidat doit sans cesse occuper l'espace. Il y a d'abord eu sa « visite » (de campagne) à l'hôpital, puis son interview (de campagne) au sacro-saint 20h, puis sa com’ (de campagne) comme co-animatrice avec Arthur sur TF1 (« Le Grand concours spécial Pièces Jaunes »). Avec l'aide de l'Opération Pièces Jaunes dont elle dépasse la mission, " Brigitte " cristallise. Incontestablement, elle s'est imposée comme le "sujet" de la semaine, au point même de rivaliser, en termes de bruit médiatique, avec le sujet pourtant chaud des retraites.
RECHERCHER LA LÉGITIMITÉ. Check !
« Justice » aux côtés d’Éric Dupond-Moretti, « Education Nationale » devant Pap Ndiaye, « Santé » en lieu et place de François Braun : Brigitte Macron sort de son rôle de manière tactique, fait de la politique avec son style et intervient sans complexe sur tous les sujets. Pour autant, compte tenu de son statut de première dame, elle n’est pas (encore) légitime ni aux yeux des Français, ni aux yeux du camp présidentiel. Tout son travail, avec celui des communicants, sera donc ces prochains mois d'apparaître de plus en plus crédible. Dans son édition du 13 janvier, le journal Le Monde la présente comme "une première dame de plus en plus politique." C’est une première étape dans la construction de la marque et son objectif. D'autres papiers iront en ce sens. Aussi logiquement, il est fort à parier que viendra bientôt l'heure des déclarations de type "je suis en phase d'écoute", "j’avance" ou "je suis prête au débat", lesquelles renforceront l'ambiguïté de candidature, lanceront la phase de teasing et installeront le probable improbable duel « Brigitte VS Marine » ? La politique est complexe. Mais le marketing politique si prévisible.
François Belley. Check !
Pour aller plus loin, lire l'essai : ▼▼▼
"Le Nouveau Spectacle politique", Editions Nicaise