Qu’elle concerne les syndicats ou les gilets jaunes, les féministes, les étudiants ou les infirmières, une manifestation, même confidentielle sur le terrain, devient toujours dans l’écran du spectacle un événement d’envergure qu’il faut couvrir, voire sur-couvrir pour le besoin de l'audimat.
Par définition, la manifestation dont l’intérêt premier repose sur les images spectaculaires qu’elle produit, est synonyme d’actu. Parcours, foule et cortège ; déclarations, punchlines et premières estimations ; tensions, charges et affrontements : la manif doit être un manège à sensations fortes. Ou être présentée comme tel. Pour les médias, un rassemblement réussi doit en effet présenter des coups d’éclat, multiplier les symboles, livrer les meilleurs plans pour remplir de contenus à voir "le direct" en cours, "l’article" à venir et "le débat" du soir, consacré aux faits marquants de la journée. C’est pourquoi la manifestation s’inscrit toujours dans un objectif de performance visuelle et sonore galvanisante !
Plus que sur le fond, c’est d’abord sur la forme que la manif doit peser pour gagner des parts de voix. Aussi, parce qu’elle constitue le premier sujet de fixation des médias, la revendication de manifestation sous forme de slogans et de calligraphies, de dessins, de photomontages ou de caricatures, fait toujours l’objet d’un travail particulièrement soigné de la part des manifestants en colère. Exprimé sur un carton, une banderole, un tee-shirt, une bâche, un gilet, un dos ou une paire de seins transformés en un support publicitaire mobile, le message engendre de manière naturelle chez ceux qui le portent, l’enfilent ou le brandissent, de la surenchère dans les mots et les images employés. À l’origine parfois d’une vague d’indignation et de colère dans la population, la sacro-sainte pancarte de manifestation, ready-made de la contestation, devient alors du pain béni pour la matrice sociale-médiatique, responsables de son ultramédiatisation puis de sa monétisation.
Netflix-isation des esprits oblige, la manifestation, comme produit-star de l'ère spectaculaire, est attendue et annoncée tel un feuilleton, consommée et commentée massivement comme une série. « Pour les retraites», « le climat », « l’hôpital » ou « l’école républicaine » ; « contre le racisme et les violences policières » ou « en hommage aux victimes » : la manif avec sa médiatisation de masse, son effet de contagion et son dispositif exceptionnel de retransmission, est devenue un programme de divertissement comme les autres, une "marchandise" prête-à-être consommée : le gagne-pain à la fois des rédactions, des politiques à l'affût comme des citoyens-smartphone qui assurent maintenant, les jours de mobilisation, les duplex sur le terrain et les débriefs sur les réseaux sociaux.
François Belley.
Pour aller plus loin, lire l'essai :
"Le Nouveau Spectacle politique", Editions Nicaise