Née
des réseaux sociaux, la nouvelle foule forme le public du spectacle
contemporain : celui, connecté, que l’on appelle communément
aussi l’audience.
Abonnés,
followers, fans, amis… la foule dite numérique se présente comme
le nouveau public de masse, en lieu et place de celui amorphe et
vieillissant du cinéma ou de la télévision. De la nouvelle foule,
instinctive, primitive et puissante, à la fois productrice et
productive, émerge la composante indispensable de la réussite du
spectacle en ligne.
Le
comportement de la nouvelle foule suit les codes classiques et les
caractéristiques suivistes, propres au phénomène et à la
psychologie de groupe. Anonyme, nombreuse et facilement influençable,
la nouvelle foule qui vient s’ajouter et enrichir la classification
historique des types de « foules », ne se sent pas responsable
et ne réfléchit pas. Incapable de raisonner, elle ignore l’esprit
critique, l’analyse et toute forme de discernement. Comme un seul
être, elle avance en bloc, parle et commente d’une même voix,
publie, like et partage d’une seule main. La nouvelle foule ne
parle et ne comprend qu’un langage : celui de l’instantanéité,
de l’émotion et du court-circuit. Elle est appréciée pour son
fanatisme et sa démesure, ses comportements irrationnels et ses
propos passionnés, ses attitudes imprévisibles, ses dérapages
soudains et ses réactions brutales : autrement dit, son sens
inné du spectacle.
Dans
le cadre d’une manifestation ou d’une allocution, la nouvelle
foule comme premier agent productif peut en effet s’appuyer sur des
millions de chevilles ouvrières galvanisées pour assurer le
spectacle en ligne. À l’heure du numérique, rejoindre une foule
en tant que membre actif n’a jamais été aussi simple. Depuis son
smartphone, un seul clic suffit. C’est ce qui différencie la
nouvelle foule d’une masse de manifestants ou de spectateurs, de
supporters ou de militants dans la vraie vie : les risques de
rejoindre un groupe chauffé à blanc s’effacent tout à coup.
Portée
par le nombre, guidée par l’instinct animalier et l’impulsivité
qui la caractérisent, la nouvelle foule assure le rôle principal du
spectacle en ligne : celui qui fait l’événement et en parle,
lui donne de l’importance par le contenu de masse et le bruit
qu’elle génère autour. Prescriptrice, la nouvelle foule décide
de la publication à voir, de l’article à lire, du compte à
suivre, de la vidéo à partager ou de l’avatar à bannir. C’est
elle qui décrète le bien et le mal, fixe les critères du beau et
du laid, trace les limites de l’acceptable et de l’inacceptable,
règle le niveau d’intensité de la lumière sociale-médiatique.
Par
son influence et ses retombées immédiates dans les médias
traditionnels, la nouvelle foule a donné naissance à un nouveau
type d’opinion publique, virtuelle cette fois-ci, qui selon
l’actualité du jour, peut imposer sa vérité au monde entier, se
déchaîner, juger et, par la force d’un hashtag, dresser des
bûchers en place numérique. La nouvelle foule adore ou déteste.
Elle est le fan ou l’ennemi. Elle célèbre ou exécute. Il n’y a
pas de nuances possibles. Prévisible, le public, acteur du spectacle
contemporain, ne réserve jamais de surprise dans ses agissements.
Sur une petite musique répétitive, la nouvelle foule est tel
l’automate qui marche, pivote puis tourne ; déambule, pivote
puis tourne à nouveau. La nouvelle foule libère la parole, se
nourrit de l’image et des formules chocs, pousse le public au
mimétisme. Sur les réseaux sociaux, elle est l’alpha et l’oméga
de la production du nouveau spectacle ».
Extraits
de l’essai « Le Nouveau Spectacle politique » (éditions
Nicaise)
François
Belley