mardi 27 juin 2023

LA SYSTÉMATISATION DE L’URGENCE AVEC "L’ALERTE INFO".


Dans la nouvelle société du spectacle régie par la production de contenus de masse, même l’information la plus mineure peut devenir le temps d’une publication, une « alerte info » : c’est-à-dire une actu urgente qui, sur l’écran d’affichage du pyromètre, indique la température la plus chaude. Précédée d’un point rouge, l’alerte info écrite en lettres capitales pour en maximiser l’impact est une dépêche de presse qui se remarque : celle qui, par son habillage terminologique comme graphique, doit secouer la tête de l’homme des écrans, habitué à recevoir chaque jour des notifications spectaculaires.

Lâchée comme une bombe à la télévision et sur les réseaux sociaux, l’alerte info, aussi puissante que « l’alerte enlèvement », ambitionne le podium du trend topic, vise le bouton « marche » de la machine à clics et cible le point mille du bandeau déroulant. « Météo », « circulation routière », « accident », « agression », « séparation de groupe » : utilisée sans hiérarchie ni mesure par les chaînes en continu, l’alerte info, appelée aussi « breaking news », « flash info » ou encore « dernière minute », est devenue le nouveau métronome de l’actualité où l’important n’est plus la brève mais dorénavant ce qui la précède : autrement dit, la façon dont on introduit par des mots collants, gras et grossiers, la nouvelle dans la scène de spectacle. Ainsi, sous forme d’interjection, le qualificatif de l’information s’est imposé sur le marché du hard news comme un préalable à la vente : son emballage étant une condition nécessaire et suffisante à la viralité recherchée par les rédactions.

Avec les chaînes en continu, il n’y a plus de notion de temps ni d’échelle de gravité. Puisque tout est urgent et que rien n’est prioritaire, l’alerte info qui répond au diktat de l’instantanéité, du sensationnalisme et de la publication permanente, tombe dans les écrans du divertissement comme une rafale de pluie. Vu par les diffuseurs comme le moyen de déclencher à tout moment l’intérêt du public et le maintenir sous pression, le système de « flash » à l’effet stroboscopique s’est répandu sur l’ensemble des acteurs de l’info-spectacle, vidant l’urgence de sa substance, de son crédit et de son sens. En faussant l’appréciation des faits, l’alerte info par une logique de racolage, induit en erreur et trompe le public. Aussi, à chacune de ses apparitions, le breaking news capte une attention, déclenche une réaction et crée une émotion chez le public qu’intrinsèquement la nature de l’information ne mérite pas. En hiérarchisant à l’écran ce qui n’a pas lieu d’être, « l’alerte » par un point de vue arbitraire, influence l’opinion, détourne des grands enjeux et éloigne des questions essentielles. Comme l’effet de loupe, l’infox ou l’emballement médiatique, l’alerte comme attribut du spectacle et preuve de la course à l’instantanéité, n’est toutefois symptôme parmi d’autres, du dérèglement total de l’information.

François Belley