mercredi 23 février 2022

L’OBSESSION MALADIVE DU SONDAGE.


Politiques, médias, usagers des réseaux sociaux : aujourd’hui, tous les producteurs de contenus, professionnels comme particuliers, obéissent sans exception aux ordres de la consultation sondagière.

Dans la société de chiffres, de statistiques et de pourcentages, il faut sans cesse compter et mesurer, calculer, quantifier et noter pour apprécier la valeur marchande d’un produit : qu’il s’agisse de la notoriété d’une personnalité politique, de la qualité d’un débat, de la pertinence ou non d’une nouvelle mesure sanitaire. Celui qui bénéficie d’une audience de masse à travers le numérique, la télévision, la presse ou la radio, a besoin de prendre chaque jour le pouls de l’opinion : sonder les populations, sentir sa communauté, écouter la voix de ceux qui le suivent et le regardent. Ainsi pour le spectacle, on donne la parole aux auditeurs ; laisse s’exprimer les spectateurs ; lit sans filtre les questions des viewers. On tend le micro aux médecins de terrain, recueille l’avis des restaurateurs comme on enregistre les témoignages des aides-soignantes : soit autant de publics cibles qu’il convient pour le diffuseur-sondeur de soigner et chérir, au minimum par une écoute, au mieux par une discussion.

Dans l’écran du divertissement, le sondage du jour relayé, décrypté et largement interprété, structure les grilles éditoriales et rythme la vie du médiatico-politique. Popularité, confiance, image, candidat, programme, allocution, débat, déplacement, mobilisation : aujourd’hui, tout doit passer au filtre de l’échantillon et de la statistique, des mathématiques et de la probabilité, de l’estimation représentative moins pour comprendre et s’améliorer que pour fabriquer l’actu et proposer un sujet. Matière première du commentariat, le sondage du jour à la manière de l’image, du buzz ou encore de la polémique, fait naître la production de contenus de masse, crée le débat et amorce les clivages. Commandés par les producteurs de spectacles, le sondage tel qu’il est présenté aux foules (sociales) médiatiques, classe toujours les « pour » et les « contre », les « d’accord » et les « pas d’accord », les « contents » et « les pas contents » par le biais d’un chiffre consommable que l’on manipule et pétrit, mâche, crache, ravale et recrache pendant des heures dans le cadre d’émissions d’actu qui, à l’écran, se succèdent les unes aux autres.

« Recul de quatre points », « hausse de deux », « décrochage de sept », « chute de dix » jusqu’au record de popularité ou d’impopularité : la courbe descendante ou ascendante de l’exécutif en place est un feuilleton à suivre au quotidien. Telle une drogue, la course de popularité enivre, affole et déstabilise. Elle dispose du droit de vie et de mort sur autrui. Symptôme de la société du paraître, la quête de l’opinion favorable via l’obsession du baromètre, explique l’immobilisme en politique où bouger les lignes devient un risque pour l’homme du paraître qui serait, tout à coup, tenté de passer de la parole à l’action.

François Belley.