Dans le spectacle politique, le débat est un leurre dont il ne reste que le lendemain les parts d’audience et la performance des acteurs. Ne parlons pas des idées, des propositions et des résolutions : elles n’existent pas ou ne résistent pas à l’épreuve du temps, même à court terme. À l’image du « Grand débat national » sous forme de tournée ou du « débathon » d’une durée de onze heures, le débat continu comme nouvelle façon de faire de la politique répond au diktat de l’apparition, du parolat et de l’événement permanent. En politique désormais, il faut débattre, encore débattre et toujours débattre. Autrement dit, parler, encore parler et toujours parler : soit une manière par le verbe d’occuper l’espace et, à l’écran, de faire illusion partout où le nouveau communicant prestidigitateur se produit.
Pour continuer d’intéresser les masses d’électeurs, le débat « politique » comme produit médiatique de masse doit s’appuyer, sans cesse, sur des concepts nouveaux : ici un mode de diffusion en live streaming ; là un public constitué uniquement d’agriculteurs, de maires, d’étudiants ou de jeunes gamers ; ici encore un lieu, le théâtre national de Chaillot ou une émission de talk-show avec ministre, paperboard et feutres Velleda. Comme tous les programmes de divertissement, le débat « politique » se plie aux exigences du système spectaculaire. De la thématique retenue au choix de l’animateur youtubeur en passant par l’invité surprise ou le pupitre digne d’une téléréalité, tout se pense pour accrocher l’abonné, le téléspectateur comme le viewer. Encore à mi-chemin jadis entre politique et divertissement, le débat se présente aujourd’hui comme un divertissement total. Pour le public, le débat filmé est un leurre. À l’écran, on nous vend la discussion avec des vraies gens comme un « exercice » ou un « modèle » de démocratie. Or, quels sont les critères d’un débat réussi selon le spectacle ? Sinon l’ensemble des artifices mis en œuvre durant des heures pour faire parler les invités à côté, mal, trop et fort. Aussi, on n’invite pas sur un plateau la vox populi ; on ne lance pas une consultation en ligne ; on n’ouvre pas un registre de doléances dans une mairie par hasard. Pour le politique, la consultation citoyenne à travers la voix d’un paysan ou d’une retraitée, le témoignage d’un restaurateur ou le point de vue d’un jeune des quartiers que l’on montre en gros plan à l’écran, s’inscrit toujours dans une stratégie de communication bruyante, laquelle vise à prouver au public que le lien avec le réel n’est pas encore tout à fait rompu.Organisé essentiellement pour la com’ et le spectacle, satisfaire à la fois les objectifs du politique et du médiatique, le débat, fond, n’existe pas réellement. À l’heure du tout-écran, il est partout. Le débat n’est donc nulle part.
François Belley.