vendredi 24 novembre 2023

LE SPECTACLE DU RETOUR À LA VIE RÉELLE.













Signe de la déconnexion du politique avec les vraies gens, de la non-pratique du quotidien et de la vie hors sol de ceux qui nous gouvernent, le retour au réel – aussi fugace soit-il – de l’homme de pouvoir demeure pour le médiatique une information de la plus haute importance : à couvrir si possible de la même manière qu’une rencontre de troisième type.

Symbolisant à l’écran le contact entre le haut et le bas, le national et le local, le connu et l’anonyme, le déplacement sur le terrain sous forme d’une déambulation filmée se présente au public toujours comme un événement : une séquence rare au cours de laquelle regarder un élu prendre le métro ou le train de nuit, un ministre boire un café sur une terrasse rouverte devient un spectacle. Impatient, le public veut voir en effet si le politique, une fois lâché dans le réel, sera à la hauteur : au même niveau que celui qu’il valorise d’un regard, d’un clin d’œil ou d’un tutoiement. Voir s’il sera naturel dans ses mots, attitudes et réactions ; s’il pourra aussi, devant la détresse et les larmes parfois de son interlocuteur, être crédible dans le rôle du coach, du psychologue, du grand frère ou encore du père de la Nation. Savoir enfin si face caméra, il deviendra force de propositions, d’improvisations et de compassion devant les problèmes de retraite et de pension d’invalidité des uns, de feuille de paie et d’impôt des autres.
Avec le savoir-faire d’un producteur de téléréalité, le système médiatico-politique a réussi, par le biais de l’écran, à nous vendre le normal comme exceptionnel et, par l’épreuve du réel, à noyer les foules dans un océan de rien. Si pour le politique, à travers une tenue décontractée, une main sur l’épaule ou un trait d’humour, la redescente sur terre relève de l’exercice d’image pour paraître cool, sympa et proche du peuple à un moment précis du calendrier, le spectacle doit pour le médiatico-numérique venir surtout de la confrontation avec le réel, provenir du tête-à-tête, parfois sous forme de collision, de gouffre ou de malaise, avec le monde des agriculteurs ou des ouvriers, celui des jeunes ou des chômeurs. Si dans l’écran du spectacle, les courses sur le marché, la dégustation de charcuterie, la poignée de main à la populace ou la bise à Madame Michu ont toujours la cote et continuent (à cause de l’événementialisation et la médiatisation de masse) d’intéresser les foules, c’est bien de l’accrochage ou de la leçon de vie d’un Président qui détiennent le plus de valeur sur le marché spectaculaire du « à voir ».
Mais ne nous trompons pas ! En mettant les pieds dans la vraie vie comme on rentre dans une eau froide, le politique ne vient pas pour s’intéresser et comprendre l’autre, sentir pour agir. Mais parce qu’avec le réel et une stratégie ostentatoire tout-terrain, il a simplement trouvé une occasion supplémentaire pour rester un peu plus dans l’écran du spectacle.
François Belley.