Bien connue de l’univers scénique, des comédiens, des chanteurs et des danseurs, l’audition est une pratique historiquement courante chez les professionnels du spectacle qui, face à une interprétation, une réplique ou une prestance, espèrent tomber sur la nouvelle star à mettre sur le marché. Dans l’écran du spectacle qui aspire et recycle tout, le bon comme le mauvais, l’audition comme concept a toutefois évolué. À l’image, ce qui doit faire le spectacle désormais n’est plus la personne castée, la belle voix ou le top chef mais le processus de sélection lui-même. Dans le monde de la musique, de la cuisine ou du dating, le spectacle de l’audition ne recherche plus le bon produit : il est le produit.
Filmé et diffusé en direct, le spectacle de l’audition à répétition avec son jury, son décorum et son suspense de téléréalité, n’échappe ni au politique (ministre ou député) ni au néo-politique (épidémiologiste ou garde du corps), susceptibles dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, d’être appelés à la barre du spectacle pour démontrer face caméra leur capacité à faire le show.
Semblable au télé-crochet où la justesse du chant est secondaire, la précision des propos comme la cohérence et la véracité du témoignage du politique importent peu à l’écran. Coincé entre les faits et les chiffres, les dates et les déclarations des uns puis des autres, le public, submergé d’informations, n’attend pas de l’audition-spectacle que sorte la vérité et rien que la vérité, mais plutôt que tombe la question piège, vienne le coup de sang et jaillisse la révélation, synonymes de programme vraiment réussi. Comme dans une émission de casting, ce sont d’abord les hésitations, les instants de fébrilité et le manque de contrôle du candidat qui font le divertissement. Autrement dit, les rétropédalages et les confusions, les altercations et les reports, la suspension voire le boycott de la commission. De ce long tunnel médiatique, la presse comme la nouvelle foule n’espèrent au fond qu’une seule chose : assister en live au déséquilibre, à la chute puis la décomposition publique d’un homme ou d’une femme qu’on ne lâche pas du regard.
Comme la signature en direct d’un texte de loi, l’audition retransmise en live doit offrir l’illusion de l’action, apporter au public la preuve en images de la justice et de son égalité de traitement pour faire de l’homme de pouvoir un justiciable comme les autres. L’audition-fleuve comme nouveau programme de spectacle politique, dont le succès d’audience des chaînes d’info révèle le goût et la passion du spectateur pour les procès, fabrique avant tout des héros de l’écran. Le temps de sa diffusion, l’audition comme nouvelle illustration de la justice-spectacle, polarise l’opinion et cristallise les réseaux sociaux, conditionnés pour réagir de façon épidermique et produire ainsi, par le commentariat, le contenu de masse attendu par la matrice.
François Belley