vendredi 30 juin 2023

La Surenchère des images (Snapchat) à l'heure du diktat des vues.

Le devoir de production de contenus spectaculaires constitue l’injonction première de l’ère sociale médiatique où pour exister, il convient d’être vu et suivi par le plus grand nombre. À ce titre, l’étude du réseau social Snapchat, par la sociologie de son jeune public, est intéressante dans la séquence d’émeutes actuelle car elle signe la 1ère révolte de l’audience en ligne.

Chez le jeune producteur de contenus en effet, la recherche du chaos sous toutes ses formes et expressions diverses ne répond pas forcément en premier lieu à une motivation politique ou idéologique mais à un nouvel impératif social : celui d’être remarqué dans la sphère numérique. Sous nos yeux apparaît, à l’instar des chaînes d’info en continu, l’autre course à l’audimat où pour être partagé, liké ou commenté, tout semble permis.

Pour être intégré, accepté et reconnu comme un membre de la nouvelle société sociale-médiatique, il convient d’être produisant et spectaculaire : c’est-à-dire publier dans l’instant un contenu susceptible d’accrocher et de retenir en ligne encore quelques minutes les masses connectées, accroc aux images feuilletonnées.

Selon la règle de la matrice du numérique, l’avatar le plus productif devient par l’effet du nombre et l’exposition continue aussi le plus important. Sur les réseaux sociaux, celui qui est vu est bien vu. Celui qui est bien vu est à voir. Et celui qui est déjà vu est à revoir.

De première nécessité pour l’homme connecté, la publication comme produit essentiel à sa survie constitue le nouveau moyen de s’insérer socialement, d’être accepté par le groupe et de ne pas être oublié. Publier, c’est exister ; compter aux yeux de ; être parmi et faire partie de. La publication n’est qu’un moyen pour augmenter la valeur de son image perçue, à défaut d’exister dans la société réelle.

Dans la nouvelle industrie du « à voir », il faut être visible et performant. Et cela passe par la production de spectacle. Les images des émeutes qui tournent sur Snapchat ou Twitter parlent d’elles-mêmes. Avec sa capacité de travail illimité, le forçat du web social, qui subit jour et nuit cette pression sociale, suit sans surprise la cadence de production toujours plus forte imposée par l’époque numérique : un standard auquel il se plie bien volontiers pour exister en vain, dans une sphère digitale elle-aussi surpeuplée.

Avec la publication comme marchandise archétypale, la civilisation numérique s’est imposée comme le nouvel âge productiviste où chaque seconde qui passe, synonyme de notification, rappelle à l’individu contemporain son devoir infaillible de production. Soumis désormais au culte de la productivité, « l’être humain » a aujourd’hui disparu au profit d’un « produire humain » qui, sous forme d’avatar, l’a définitivement remplacé.

François Belley
https://francoisbelley.fr