lundi 7 février 2022

LA NAISSANCE DE LA NOUVELLE FOULE.

 


Née des réseaux sociaux, la nouvelle foule forme le public du spectacle contemporain : celui, connecté, que l’on appelle communément aussi l’audience.

Abonnés, followers, fans, amis… la foule dite numérique se présente comme le nouveau public de masse, en lieu et place de celui amorphe et vieillissant du cinéma ou de la télévision. De la nouvelle foule, instinctive, primitive et puissante, à la fois productrice et productive, émerge la composante indispensable de la réussite du spectacle en ligne.

Le comportement de la nouvelle foule suit les codes classiques et les caractéristiques suivistes, propres au phénomène et à la psychologie de groupe. Anonyme, nombreuse et facilement influençable, la nouvelle foule qui vient s’ajouter et enrichir la classification historique des types de « foules », ne se sent pas responsable et ne réfléchit pas. Incapable de raisonner, elle ignore l’esprit critique, l’analyse et toute forme de discernement. Comme un seul être, elle avance en bloc, parle et commente d’une même voix, publie, like et partage d’une seule main. La nouvelle foule ne parle et ne comprend qu’un langage : celui de l’instantanéité, de l’émotion et du court-circuit. Elle est appréciée pour son fanatisme et sa démesure, ses comportements irrationnels et ses propos passionnés, ses attitudes imprévisibles, ses dérapages soudains et ses réactions brutales : autrement dit, son sens inné du spectacle.

Dans le cadre d’une pandémie, d’un attentat ou d’une agression, d’un débat, d’une allocution ou d’une campagne présidentielle, la nouvelle foule comme premier agent productif peut en effet s’appuyer sur des millions de chevilles ouvrières galvanisées pour assurer le spectacle en ligne. À l’heure du numérique, rejoindre une foule en tant que membre actif n’a jamais été aussi simple. Depuis son smartphone, un seul clic suffit. C’est ce qui différencie la nouvelle foule d’une masse de manifestants ou de spectateurs, de supporters ou de militants dans la vraie vie : les risques de rejoindre un groupe chauffé à blanc s’effacent tout à coup.

Portée par le nombre, guidée par l’instinct animalier et l’impulsivité qui la caractérisent, la nouvelle foule assure le rôle principal du spectacle en ligne : celui qui fait l’événement et en parle, lui donne de l’importance par le contenu de masse et le bruit qu’elle génère autour. Prescriptrice, la nouvelle foule décide de la publication à voir, de l’article à lire, du compte à suivre, de la vidéo à partager ou de l’avatar à bannir. C’est elle qui décrète le bien et le mal, fixe les critères du beau et du laid, trace les limites de l’acceptable et de l’inacceptable, règle le niveau d’intensité de la lumière sociale-médiatique.

1, 10, 100, 1 K, 10 K, 100 K : la nouvelle foule, à la croissance exponentielle, se crée par un effet de contagion et, protéiforme, peut, à la manière d’une accumulation de commentaires, de vues et de partages, de pouces bleus, de cœurs ou d’étoiles, prendre diverses apparences. Par son influence et ses retombées immédiates dans les médias traditionnels, la nouvelle foule a donné naissance à un nouveau type d’opinion publique, virtuelle cette fois-ci, qui selon l’actualité du jour, peut imposer sa vérité au monde entier, se déchaîner, juger et, par la force d’un hashtag, dresser des bûchers en place numérique. La nouvelle foule adore ou déteste. Elle est le fan ou l’ennemi. Elle célèbre ou exécute. Il n’y a pas de nuances possibles. Prévisible, le public, acteur du spectacle contemporain, ne réserve jamais de surprise dans ses agissements. Sur une petite musique répétitive, la nouvelle foule est tel l’automate qui marche, pivote puis tourne ; déambule, pivote puis tourne à nouveau. La nouvelle foule libère la parole, se nourrit de l’image et des formules chocs, pousse le public au mimétisme. Sur les réseaux sociaux, elle est l’alpha et l’oméga de la production du nouveau spectacle.

François Belley

https://francoisbelley.fr